Curiosité et exigence aux 22e Musicales en Coteaux de Gimone
Le 22 août 2025parAlain Huc de Vaubert
Pour sa 22e édition le festival des Musicales en Coteaux de Gimone a fait à nouveau œuvre d’audace par une programmation exigeante dans des petits villages du sud du Gers avec un succès public constant. Cette année, l’accent était mis sur les rapports entre la musique et le langage avec des œuvres présentant des liens forts avec la littérature. […]
Les subtiles roses d’Antiphona
Plus d’un mois après, l’ensemble vocal toulousain Antiphona investit à son tour l’abbaye de Boulaur avec un programme de raretés s’étalant sur plusieurs siècles autour du thème de la rose en musique, fleur de l’amour et allégorie mariale. Emmenés par leur fondateur et chef emblématique Rolandas Muleika à l’orgue positif, la soprano Eva Tamisier, Susan Edward au violoncelle et Timothé Bougon au chitarone et à la guitare baroque, nous offrent un voyage enchanté à travers l’Europe du XIIIe au XVIIIe siècle.
Après un Ave Maria entonné a cappella du fond de l’abbatiale, l’Espagne est représentée par Rosa das rosa, le cantigua X, a trois voix d’Alphonse X le Sage, qui emplit la nef, suivi d’un hymne du Livre vermeil de Monserrat, puis du Codex Las Huelgas. On passe en France à la Renaissance avec le sublime Mignonne allons voir si la rosede Ronsard, mis en musique par Guillaume Costeley, chanté en dialogue et en écho par Eva Tamisier et Timothé Bougon. On glisse ensuite vers l’ère baroque, qui occupera tout le reste du concert, par des airs de cour De Gilles Durand de la Bergerie, Etienne Moulinié et Michel Lambert, donnant une atmosphère subtilement intimiste à cette belle soirée.
Avec la magnifique Taccata Arpegqiata de Johannes Hieronymus (ou Giovanni Girolamo) Kapsberberger, Timothé Bougon fait découvrir au public toute la finesse mélodique et harmonique du Chitarone, appelé également théorbe.
Timothé Bougon, qui est également baryton, et Eva Tamisier se partagent deux superbes motets à une voix des fameuses religieuses compositrices italiennes du XVIIe siècle, Claudia Francesca Rusca et Isabella Leonarda ; Tu filia et Nive Puer.
De son côté, Susan Edward, confie une époustouflante transcription pour violoncelle de la redoutable Passagalia, initialement écrite pour violon solo, qui clôt les fameuses Sonates du Rosaire de Ignaz Franz Biber, une bible pour tous les violonistes. Ce mouvement, peut-être moins connu, est aussi iconique que la célèbre Chaconne de la 2e Partita BWV 1004 de JS Bach. Un grand moment de musique et de virtuosité !
Rolandas Muleika entonne ensuite l’antienne grégorienne Haec est regina virginum, d’une grande pureté, qui appartient au répertoire liturgique cistercien. L’ensemble reprend le même texte dans la version baroque que Hændel composa lors de son séjour en Italie, vraisemblablement pour la fête de Notre-Dame du Mont Carmel le 16 juillet 1707. Dans cette œuvre contemplative, sobre, sincère et émouvante dans sa simplicité, Hændel a su assimiler rapidement le style de Corelli. On y goûte les aigus aériens d’une belle finesse d’Eva Tamisier.
Enfin, ils concluent ce concert d’œuvres rares par trois versets (Fac me vere ; Juxta crucem ; Alleluia) du Stabat Mater du portugais Joao Rodrigues Esteves, composé en 1740 et conservé à la cathédrale de Lisbonne. Cette polyphonie expressive, typique de la musique religieuse portugaise du XVIIIe siècle, illustre une dévotion fervente.
Une fois de plus, nous observons que le public du festival sait faire œuvre de curiosité et de discernement en écoutant et appréciant des œuvres méconnues et d’accès parfois plus difficiles.